Réflexions sur les universités françaises et leurs réformes.
Par Christine Musselin, sociologue, Sciences-Po, CNRS
L’intervention est disponible sur la chaine youtube de la SIF.
Préambule
Démarche / positionnement différents des précédents orateurs :
– l’université comme objet d’étude
– travaux sur la base d’entretiens, approche qualitative et non quantitative
– présentation de ses résultats de recherche + propositions
1 – Pilotage de l’ESR
Constat / diagnostic :
Evolution de l’ESR : très forte mise en compétition, qui peine à tracter tout le monde.
La politique publique a mis en place des dispositifs d’accroissement de la compétition entre les chercheurs, mais aussi les établissements (ANR, HCERES).
Le phénomène d’accroissement de la compétition est aussi lié à des acteurs privés (e.g. classements).
En France, la politique publique se focalise sur la recherche et la création des Grandes Universités de Recherche (GUR ; WCU en anglais).
Parallèlement, au niveau français toujours, incitation à la coopération territoriale (COMUE, associations, fusions), qui a globalement échoué.
Flottement sur les modalités d’évaluations, qui ont progressivement évolué :
– anciennement, évaluation pour autorisation à continuer ; puis
– transformation vers une évaluation des performances (-> attribution de moyens) ; et désormais
– évaluation de type « assurance-qualité » ; mais que fait-on de telles évaluations ?
On observe un sous-financement chronique des universités.
Ce que propose la LPPR :
Pour répondre au besoin de financement plus important, augmentation du budget de la recherche à 3% du PIB, et augmentation du taux de succès à l’ANR.
Mais risque d’une accentuation de l’effet Matthieu (« on ne prête qu’aux riches »), et accroissement de la dichotomie entre recherche et enseignement, la LPPR n’étant centrée que sur la recherche.
Proposition de l’oratrice :
– Besoin d’une loi de programmation pour l’ESR et pas seulement pour la recherche, prenant en compte ses différentes missions et les différents profils (et pas seulement les GUR).
– Avoir une évaluation repensée, liée aux résultats, mais pas seulement ceux de la recherche.
– Avoir des frais d’inscription pour tous et pas seulement pour les étudiants étrangers, et que ces frais soient « régulés » (partant du principe que le bénéfice issue d’une formation est individuel et que l’individu doit donc contribuer).
2 – La gouvernance des universités
Constat / diagnostic :
– Les universités ont une spécificité organisationnelle qui a des incidences sur son pilotage (différent de celui d’une entreprise). La gouvernance d’une université ne peut pas fonctionner d’une manière uniquement hiérarchique.
– Une distinction inefficace entre administratif et politique (que l’on ne retrouve nulle part ailleurs).
– Une relation de défiance entre doyens de composantes et présidents ; un nombre croissant de VP (qui court-circuitent souvent les doyens).
– Des instances décisionnelles qui ne font qu’entériner, malgré leur statut décisionnel.
Proposition de l’oratrice :
– Réduire le nombre de VP (notamment, avoir des « supers » VP Recherche et VP Enseignement) ; avoir des doyens proposés par le président et intégrés à la gouvernance de l’université.
– Repenser les missions des services centraux.
-> Repenser le fonctionnement interne des universités, avec plus de poids sur les composantes, reconstruire du lien entre composantes et présidence.
3 – Les carrières universitaires
Constat / diagnostic :
– 3 préalables à toute réforme : (1) la création de supports de postes (2000 MCF/an en 2005 ; 1000/an aujourd’hui) ; (2) une augmentation des salaires ; (3) une amélioration des conditions de travail (on observe notamment une baisse du nombre de personnels d’accompagnement de la recherche).
– Une transformation de la manière dont on devient universitaire : l’idée d’un concours national est une fausse idée. On est désormais sur un schéma de « marché du travail », où un recrutement répond à un besoin particulier à un établissement. La notion de « profil » sur les postes restreint encore les possibilités.
– Les COS (Comités de Sélection) n’ont pas amélioré les procédures de recrutement. La procédure est trop expéditive. La présence d’extérieurs rend difficile une procédure plus approfondie. Les universités sont responsables de leur masse salariale, mais pas de leur recrutement. Les modalités de recrutement sont difficiles à comprendre hors des frontières.
– Les premières années de recrutement sont importantes, et sont en particulier cruciales pour le reste de la carrière (a fortiori pour les femmes). Les jeunes recrutés sont insuffisamment suivis, accompagnés, dotés et respectés.
Ce que propose la LPPR :
– Revalorisation des salaires, notamment des premières années.
– Pour les doctorats, un financement sur 4 ans, une revalorisation des contrats doctoraux, et plus de contrats doctoraux notamment pour les SHS.
– Mise en place de tenure tracks et de CDI de mission. A noter que cette proposition revient à juxtaposer au niveau national les 3 principaux modèles de carrière existant dans le monde : modèle pyramidal français ; modèle du survivant allemand ; modèle du tenure track américain.
Proposition de l’oratrice :
– Suppression du CNU (« incompréhensible de l’extérieur »).
– Donner plus de poids au CA dans les recrutements (on change rarement actuellement l’ordre donné par un COS en CA).
– Avoir des COS sans membres extérieurs (ou recours aux extérieurs dans la dernière phase du concours).
– Mieux accueillir et suivre les nouveaux entrants.
– Développer un marché du travail universitaire européen.